La fin du récit, dans le retournement inattendu qu’elle met en scène, finit de bouleverser tout à fait le lecteur.
Lali L’orpheline met en scène le dialogue d’un père et de sa fille, laquelle, âgée de 20 ans, part en mission en Inde auprès d’enfants abandonnés. L’artificialité des échanges ou l’exacerbation des « bons » sentiments qui pourraient menacer un tel sujet sont vigoureusement tenus à distance par l’intelligence et la subtilité du propos de Thierry Lenain. Au travers des doutes, des interrogations, des découragements de la jeune Marion qui voudrait se consacrer exclusivement à la petite Lali surgissent très finement des émotions ambivalentes, justes et troublantes parce qu’à contre-pied des évidences. La fin du récit, dans le retournement inattendu qu’elle met en scène, finit de bouleverser tout à fait le lecteur.
Au dialogue des personnages se mêle le dialogue du texte lui-même et des images d’Olivier Balez. Sagement ordonnancée par une alternance régulière, l’interaction entre les narrations verbales et visuelles n’en joue pas moins du rythme et des dynamiques portées par les choix marqués des deux instances. Recourant uniquement à une palette bicolore apposée sur le blanc de la page, l’illustrateur qui s’impose au fil de ses albums comme un créateur majeur de la génération actuelle, choisit tour à tour l’évidence de formes pleines simplifiées ou l’élégance de développements ornementaux.
La force du lien unissant le récit et ses illustrations permet d’atteindre de purs instants de grâce, telle cette première double page....
La vérité n’est pas, ici, saisissable. Le tour de force de l’auteur c’est sa capacité à provoquer des prises de conscience.
Marion a vingt ans lorsqu’elle se rend en Inde pour donner trois mois de son temps à l’établissement des Cœurs-Oubliés de Sainte-Anita. Sa mission humanitaire au pays des couleurs et des épices s’avère une aventure déroutante. Accepter de ne pouvoir offrir son aide à tous alors que l’orphelinat emploie « si peu de mains pour tant d’enfants » est d’emblée bouleversant. De même, s’attacher ensuite profondément à la petite Lali, une fillette muette recroquevillée parce qu’elle ne tient pas debout, sachant qu’au terme de son séjour, l’orpheline sera à nouveau privée de cette affection passagère, semble insurmontable aux yeux d’une européenne élevée dans le respect des valeurs.
Le temps du voyage de Marion, Thierry Lenain a été le papa désemparé qui, à des milliers de kilomètres et à travers le fil du téléphone, entendait les doutes et remises en question de sa fille. En l’encourageant à communiquer avec Lali, il a su lui redonner confiance, tout en la laissant libre de chacun de ses choix :
- Qu’importe la langue, Marion, seuls comptent les mots…
- Elle est peut-être sourde !
- Serre-la davantage contre ton cœur, Marion. Même sourde, elle t’entendra.
Comme à son habitude, l’auteur livre un texte beau et fort. L’émotion qui s’en dégage est ici renforcée par le talent d’Olivier Balez : ses illustrations en bichromie – noir et curry – sur papier crème sont d’une intensité remarquable. Un roman graphique qui invite à réfléchir, sans la moindre maladresse, évitant habilement les réponses moralisantes et les fausses évidences. [Claude-Anne Choffat, Ricochet]
Je reviens sur ce livre dont je vous avais brièvement parlé ici.
Parce que vraiment ce texte est très touchant et qu’il mérite qu’on s’y attarde.
Voici donc l’histoire de la toute jeune Marion qui quitte sa famille et son pays pour offrir de son temps, de son énergie, de son amour à des orphelins d’Inde. On l’imagine dévorée par son envie d’offrir à ceux qui n’ont plus rien ce qu’elle à sans doute reçu en belle quantité dans son enfance : de l’amour et de l’attention.
Rien que ça, chapeau bas Mademoiselle !
Je ne peux m’empêcher de penser à ce que j’ai entendu il y a quelques semaines : d’après un sondage (?), les jeunes seraient égoïstes et feignants ! Je ne sais pas où les sondeurs ont trouvé ça (un panel de vieux ronchons sans doute), mais je connais beaucoup de jeunes qui, au contraire, militent et s’engagent dans diverses associations, partent à l’autre bout du monde donner un peu d’eux-mêmes avec tout l’enthousiasme et la passion de leur 20 ans.
Au-delà de cet engagement, ce texte pose une vraie question. Il a comme sous-titre : « où l’on se demande si l’on peut faire du mal en croyant faire du bien ». En voilà un sacré débat !
Marion, dans son orphelinat, va rencontrer Lali, une petite fille mal née, malmenée, abandonnée. Alors, elle va la prendre dans ses bras, lui parler, la câliner et lier avec elle de vrais liens d’affection. Lali fera même d’infimes progrès. Oui mais voilà, alors que Marion, fière et heureuse pense trouver du soutien auprès du personnel de l’orphelinat, voici ce que lui dit une infirmière :
« Toi, dans deux mois, tu partiras. Dans deux mois, tu laisseras Lali toi aussi, comme ses parents l’ont laissée. Lali sera alors deux fois plus abandonnée, deux fois plus seule et triste qu’elle ne l’était quand tu l’as rencontrée. Tu es remplie de joie pour toi. Tu n’es pas venue pour Lali, Marion, tu es venue pour toi. »
Brutal n’est-ce-pas ?
Et que t’interrogations face à cette réaction… Mine de rien, le texte de Thierry Lenain sème là une petite graine qui fait les grandes questions.
Alors, comme à chaque fois que je tombe sur un texte fort, j’ai eu envie de le lire à une classe. Ce fut hier, avec des CM1. Je crois qu’à un moment de ma lecture j’ai vu des yeux s’emplir de quelques larmes, peut-être au moment où ma voix s’est brisée. L’émotion se partageait, la sensibilité de ces mômes s’accrochait aux mots, nous étions tous Marion.
Le silence qui a suivi ma lecture en disait long.
On a ensuite un peu discuté, juste un peu, pour décompresser. Car je ne me sens pas d’entamer un débat qui me dépasse et puis, mes lectures sont offertes, ils y réfléchiront sans doute… Ou pas. Si j’ai juste ouverte une toute petite fenêtre, je suis contente. [Isabelle, bibliothécaire de Rochechouart]
Voilà la question que pose cette histoire : peut-on faire du mal en croyant faire du bien ?
Le texte de Thierry Lenain se lit avec poésie et tendresse. Il a choisi comme narrateur le père de Marion, à qui elle raconte sa vie en Inde. En nous racontant l’expérience de sa fille, on entend l’amour qu’il a pour elle. Les phrases sont courtes, pleines de tendresse et d’émotions. Ce sont les sentiments du père et de la fille qui se mélangent dans ces mots.
Les illustrations d’Olivier Balez ont cette même simplicité. Les personnages peints en noir se rapportent à des ombres pour que chaque lecteur puisse s’y identifier. La seule couleur est ce jaune d’or qui illumine d’espoir cette belle histoire…
Ma première découverte de cette collection est très réussie. Les thématiques philosophiques sont toujours délicates à aborder avec des enfants. Ces courts romans permettront dès le collège d’évoquer ces notions et d’en discuter grâce à un exemple concret.» [Sophie, la littérature jeunesse de Judith et Sophie]
Ce texte parle d'amour tout simplement entre un père et sa fille et entre sa fille et une orpheline handicapée. Marion a vingt ans et elle a décidé de partir en Inde donner de son temps dans un orphelinat. Et là, c'est le choc : elle découvre un monde qu'elle ne soupçonnait pas, elle découvre les illusions perdues, elle découvre l'abandon d'une enfant, elle découvre le jugement de l'institution à travers l'infirmière...mais elle retrouve son doudou, là, sur le sol, dans ce triste orphelinat, le même que le sien bébé, et c'est comme un signe que c'est bien là qu'elle doit être. Et elle va ouvrir les yeux sur Lali, elle va ouvrir Lali à la vie...non sans doutes, non sans questionnements du haut de sa jeune vie, à elle aussi. Et elle se raccroche à ce fil, le fil du téléphone, où à l'autre bout son père l'écoute, la guide mais sans lui dire ce qu'elle doit faire ou ne pas faire, comme un cordon invisible qui les relie encore un peu mais que le père sait que, inévitablement, il va se rompre bientôt pour laisser son enfant prendre son envol au secours d'une autre enfant, comme un passage de relai. Et cette phrase, magnifique, qui résume à elle seule ce qu'est toute forme d'amour : "Est-ce que c'est vrai qu'on peut faire du mal quand on croit faire du bien ?". Je vous laisse découvrir la fin... Les illustrations d'Olivier Balez apportent juste ce qu'il faut au texte. Une belle leçon d'amour et de vie. Tout simplement merci. [Méli-Melo de Livres]