Les enfants assassins... (Itw)

 



Thierry Lenain aux enfants: «Désirer la mort de quelqu'un, ce n'est pas tuer». Dans le dernier livre de l'écrivain, un vieil homme enquête sur une série de meurtres terribles, commis par des enfants. N'est-ce pas irresponsable de faire germer de telles idées dans les têtes blondes? Interview
par Ariane Racine. Publié jeudi 15 avril 1999 à 02:00

Parce que des éditeurs le jugeaient trop cru, Les enfants assassins de Thierry Lenain a attendu plusieurs années sur la voie de garage des livres de jeunesse, faute de trouver un éditeur. Hachette lui a finalement donné le feu vert. Il est vrai que les faits divers imaginés par l'auteur sont très violents, même si les scènes passent comme des flashes d'info. Ici, c'est une fillette qui lance un sèche-cheveux vrombissant dans le bain de sa mère. Elle meurt. Là, alors qu'ils jouaient aux Indiens, un fils balance son père ligoté dans la Seine, à Paris. Plouf! Le vieux commissaire Canardin cherche à comprendre. Ces actes insupportables le bouleversent: «Dans le registre de la monstruosité, rien ne pouvait plus guère impressionner Canardin. Tout au long de sa carrière, il y avait été si souvent confronté qu'il avait fini par comprendre que l'horreur était en chacun d'entre nous.» Une question le taraude: «Pourquoi ces enfants tuent-ils?» A l'occasion d'une visite à sa fille qui vit en famille à Paris, ce grand-père aussi affectueux que lunatique reprend du service, sans bruit.

En considérant la trentaine de livres pour enfants et adolescents publiés par Thierry Lenain, un constat s'impose: ce quadragénaire privilégie les thèmes qui dérangent. Dans un de ses premiers romans, La Fille du canal (Syros), il traite de l'inceste. Avec Une île mon ange (chez l'éditeur romand La Joie de lire), il donne la parole à un père divorcé. Dans Un marronnier sous les étoiles (Syros), il met en scène les dernières heures d'une fillette grièvement blessée dont les parents sont décédés dans un accident de voiture. Entretien avec celui qui est aussi rédacteur en chef de Citrouille, une revue française pour libraires de jeunesse.

Le Temps: Ce livre est jalonné de crimes commis par des enfants contre leurs parents. Avez-vous hésité avant de l'écrire?
Thierry Lenain: A 10-11 ans, les sentiments troubles, les enfants connaissent! Ils sont assez mûrs pour lire un livre qui traite de la différence entre le désir et l'acte. Désirer voir quelqu'un mort n'est pas tuer. Ce polar parle de cela. Mon écriture est d'abord parentale: j'écris pour assumer ma fonction d'adulte. Avant de devenir père, puis écrivain, j'ai enseigné au niveau primaire. Si les enfants apprennent à décrypter ce qui se passe autour d'eux et en eux, ils agiront mieux sur leur vie. A force de dénoncer la violence gratuite des jeunes et de s'en repaître, on oublie qu'il y a derrière eux des adultes immatures. Une société a la jeunesse qu'elle mérite.

– Votre coupable est un médecin pervers qui injecte un poison ultradésinhibant à ses jeunes patients grippés. Les parents ne se doutent de rien. Pourquoi avoir choisi un pédiatre dans le rôle du méchant?
– C'est inquiétant, mais nécessaire. Nous faisons une confiance trop aveugle aux médecins. L'affaire du sang contaminé, le vaccin contre l'hépatite B sont deux exemples. Il est convenu de dire aux enfants: «C'est normal si le docteur touche ton corps.» Je ne suis pas d'accord. L'enfant a le droit de rester critique, même avec un médecin.

– Pourquoi l'étonnant commissaire cite-t-il Freud?
– Il n'est pas nécessaire d'être un érudit pour avoir un regard freudien. Je suis un grand lecteur de polars et aussi un admirateur de l'œuvre de Freud. Comme beaucoup de gens, j'ai une lecture spontanément psychanalytique des choses. Canardin fait partie des perdants magnifiques. Il a entendu parler de Freud. Il pense qu'il est possible d'agir pour que les enfants ne soient pas victimes des transferts automatiques des adultes. Il s'oppose à la répétition aveugle.

LES ENFANTS ASSASSINS, de Thierry Lenain, coll. Eclipse. Hachette. 42 pages.