Un présent introduit non plus comme tributaire d’un passé fratricide, mais fondé sur un avenir commun



Pour parler de la guerre à de très jeunes enfants, certains auteurs se placent à leur hauteur et tentent de restituer leur vécu. C’est le cas de l’album Wahid écrit par Thierry Lenain et illustré par Olivier Balez. L’album fictionnel se déroule comme une sorte de parabole centrée sur la naissance d’un enfant, Wahid, fruit du couple mixte de ses parents, symbole d’une intégration réussie et de la guerre d’Algérie enfin dépassée. Ce récit stylisé à destination des tout-petits ouvre le débat en replaçant la guerre dans un contexte mémoriel de dépassement de l’Histoire et d’une mémoire retrouvée. La guerre est mise en scène dans sa brutalité (on note la violence des couleurs, grâce aux aplats rouges et à l’encre noire) et dans son absurdité (l’album est fondé sur le parallélisme entre le vécu des soldats algériens et le vécu des soldats français). Elle est efficacement désamorcée par un syllogisme initial qui introduit un rapport de similitude du vécu hypothétique des protagonistes :
  • 46 T. Lenain et O. BalezWahid, op. cit., p. 8.
Habib tira peut-être sur Maurice.
Maurice tira peut-être sur Habib
.
  • 47 Voir à ce propos les analyses d’Éléonore Hamaide-Jager, « “Cachez ce sang que je ne saurais voir”. (...)
23Cet effet stylistique annule en quelque sorte la responsabilité de la guerre portée par l’un ou l’autre côté de la Méditerranée, engloutie dans le blanc central de la double-page, trou béant, qui, contrastant avec les autres couleurs de l’album, invite à combler les blancs d’une histoire qui les dépasse. À ce titre, ces deux procédés : le syllogisme et le blanc éblouissant ont un effet généralisant sur l’évocation de cette guerre qui ressemble à toutes les autres.
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Dès lors, le croisement des imaginaires français et algériens, symboliquement rétabli par la naissance de Wahid, devient le propos du livre qui, par un jeu de symétries, visibles dès la première double-page par deux bandes horizontales présentant pour la partie haute l’Algérie, pour la partie basse la France, dépasse la problématique mémorielle en introduisant le présent, non plus comme tributaire d’un passé fratricide, mais fondé sur un avenir commun. Ce système graphique intervient dans tout l’album, y compris par les bandes colorées du vêtement dont l’enfant est affublé dès la première de couverture, signe de sa mixité culturelle. À la fin de l’album, trois bandes d’images sont reprises et symbolisent trois générations : grands-parents, parents, enfants. Ces strates générationnelles forment un triptyque, qui est renforcé par le motif de la nativité : père et mère encadrent le bébé, nu et offert au monde, bras ouverts, à l’instar de l’iconographie chrétienne, mettant en scène le Christ bébé, symbole à la fois de son caractère humain et de son innocence. La naissance de l’enfant revêt bien, à l’avant-dernière page de l’album, un caractère de réunification quasi mystique.

 — Enjeux mémoriels de l'album dans le discours sur l'immigration algérienne : images culturelles et culture de l'image, par Anne Schneider https://journals.openedition.org/strenae/2918