Un jour j'ai recueilli des paroles d'enfants dans un cimetière




On ne savait pas qu’on se retrouverait dans le cimetière. C’est peut-être le chat noir qu’on a croisé et caressé qui nous y a emmenés. On a arrosé les fleurs, relevé les pots. Il y avait la tombe de Mehdi qui avait huit ans. Avant, il était à l’école, plus maintenant. Il y avait aussi la tombe d’une grand-mère. Et peut-être celle de Biby, même si on ne l’a pas vue alors qu'on la cherchait. Dans les allées, devant les pierres, on a parlé tout bas. On ne s’est pas tu, on s’est parlé doucement.


Sur la tombe de ma grand-mère, il y a une statue de mon chien mort. C’est ma grand-mère qui l’avait fait faire pour moi, une statue qui ressemble exactement à mon chien. Sur la tombe, il y a aussi une photo de moi bébé, à côté de ma grand-mère. C’est elle qui le voulait, parce que je comptais beaucoup pour elle. Mais en voyant la photo sur la tombe, il y a des gens qui croient que je suis mort. Ils me le disent. Ça me fait mal au cœur. Je voudrais que tous les morts ressuscitent.

Attends. Je vais te montrer la tombe de mon chat. Laisse-moi parler. Mon chat est mort. On lui a fait une piqûre pour l’endormir. J’ai pleuré. J’ai voulu faire une tombe grise et blanche, parce que c’est la couleur de mon chat, et verte aussi, parce que c’est la couleur de ses yeux. J’ai voulu faire une tombe avec des fleurs, des bonbons et des gâteaux. Mais je ne sais pas où il est enterré.

La mort, ça fait pleurer les gens, c’est une tragédie, mais c’est des choses qui arrivent dans la vie. Moi aussi je mourrai et ma famille viendra mettre des fleurs sur ma tombe. Mais il ne faut pas abuser de la mort. On m’a raconté qu’une fille s’est tuée parce que son Tamagoshi était mort, mais son Tamagoshi, il a d’autres vies, et pas elle.

Je veux parler des filles violées. Les filles, elles ne se font pas toutes violer, il y en a quelques-unes. Ce n’est pas à la télé que je l’ai vu. Je l’ai deviné. Non. Je l’ai entendu à la radio. Elles se promènent toutes seules et des hommes les emmènent en voiture. Violer, je sais ce que ça veut dire, mais c’est trop difficile de l’expliquer.

Le jour où il est mort, j’ai été à l’enterrement. J’ai vu le croque-mort l’enterrer. Son cercueil, il était dans un camion bleu marine. Sur le camion, il y avait marqué PFG. Avant, le mort était dans un frigidaire. Après, on l’a lavé et puis on l’a habillé. Pendant-ce temps-là, on a fait brûler d’autres morts. Moi, quand j’ai vu ça, ça m’a fait du mal au cœur. J’ai fait des cauchemars. Je me suis dit que tout le monde va y passer.

Le plus dur, quand les parents ne s’aiment plus, c’est quand ils crient. Le plus dur, c’est les mots qu’ils crient. Avant, c’étaient des mots d’amour, pendant les vacances, dans une maison au bord de la mer, ils s’embrassaient. Quand l’amour entre deux parents est mort, leur fille est triste.


Ce matin-là, il y avait un homme, une femme et six enfants, entre neuf et onze ans. On a lu des noms sur des tombes et puis on a écrit un peu de nos vies.

Betty, Cédric, Charles-Édouart, Laure, Sonia et Steven avec Claudine et Thierry



(Textes publiés dans Citrouille en 1999, dans le dossier "Parler de la mort". Paroles recueillies lors de Leitura Furiosa 1998 - cette manifestation littéraire originale organisée par le CARDAN réunit lors d’un long week-end une trentaine d’écrivains et plusieurs centaines de gens fâchés avec la lecture. De cette rencontre, naissent des textes qui sont illustrés, imprimés, distribués et lus le dimanche à la Maison de la Culture d’Amiens, au Musée Serralvès de Porto, à la Casa da Achada de Lisbonne, à la bibliothèque de Bejà. Cela se passe une fois par an à Amiens et au Portugal au mois de mai. )