Lorsqu'un enfant souffre en silence, ce n'est pas dans le sien mais dans le nôtre. (Itw Lire/L'Express)


LIRE : La mort avec Julie Capable, la pédophilie avec La fille du canal, le sexe avec Petit zizi... Pourquoi cette prédilection pour les sujets sensibles?

THIERRY LENAIN : Ces livres essaient juste de mettre en mots la vie dans des circonstances où elle apparaît particulièrement intrigante, complexe ou douloureuse. Qu'on se taise ou pas, les questions sont là. On peut tenter de se convaincre que les enfants ne se les posent pas, ou essayer de les divertir en espérant les en détourner. Mais on peut aussi choisir de s'interroger avec eux, en partie dans une ignorance partagée, en partie à la lumière de notre expérience d'adulte. Je décide parfois d'écrire ainsi... 

Quels sont vos «trucs» pour aborder les points cruciaux avec les enfants?
Ne pas leur mentir, ne pas les trahir, ne pas les ensevelir. Ce ne sont pas mes «trucs», c'est ma ligne de conduite, celle à laquelle je tente de me tenir. Mais écrire sur ce type de circonstances liées à la condition humaine, c'est toujours marcher sur un fil. 

Que vous inspire la polémique autour d'un livre sur l'homoparentalité, Jean a deux mamans (L'Ecole des loisirs) dans une collection destinée aux moins de trois ans?
Dans la réalité, à l'extérieur des discours bien-pensants, des familles de ce type existent. Il est donc normal que leurs enfants, et les autres, puissent publiquement lire leur histoire dans des livres - ou alors c'est l'apartheid en France. 

Qu'apporte le livre de jeunesse sur ces questions?
Là où les adultes, et c'est bien normal, ont souvent du mal à parler avec les enfants, les livres de jeunesse proposent des textes ou des images que des auteurs et des illustrateurs ont pris le temps de penser. Ils peuvent permettre au lecteur de mieux entendre et (se) dire ses émotions et ses questionnements par le processus d'une résonance qui n'appartient qu'à lui. Il arrive que ces livres soient pour l'enfant les prétextes d'une formulation, qui va parfois rester intime et secrète, de sa propre histoire. C'est pour cela qu'ils doivent être authentiques. 

Faut-il anticiper avec le livre la situation délicate ou attendre qu'elle se produise? Doit-on prévenir ou guérir?
A propos de certains de mes titres, j'ai fréquemment entendu: «je ne lui ai pas passé ce livre parce que cette situation ne le concerne pas» ou «je ne le lui ai pas passé parce qu'il vient de la vivre» - s'agissant parfois du même livre... Bien souvent, en réalité, l'adulte ne cherche pas à protéger l'enfant mais à se protéger lui-même, avec ces précautions. Car l'acte de confier un livre n'est pas anodin; on passe quelque chose de soi aussi, à ce moment-là. Aussi est-ce à chacun de savoir ce qu'il a envie de proposer, en fonction de ses désirs et de ses limites d'adulte, du contenu du livre et de l'histoire de l'enfant. Le tout est de ne pas l'empêcher de rencontrer ce livre ailleurs, autrement, simplement parce que nous, nous ne lui passerions pas. Se dire aussi que si nous ne le lui passons pas, personne d'autre peut-être ne le fera. Il ne faut pas oublier que lorsqu'un enfant souffre en silence, ce n'est pas dans le sien, mais dans le nôtre. 

Interview menée par Jeanne de Ménibus (Lire), publié le 01/04/2006.