Quartier Libre - La première personne dont il faut se méfier en ce qui concerne le racisme, c’est soi-même... (Itw)



(Interview) Les livres de Thierry Lenain pour la jeunesse, dont le premier a été écrit au moment de la paternité, traite de sujets de société, comme l’égalité filles-garçons, l’homoparentalité ou la lutte contre le racisme. Il a notamment obtenu le prix des Incorruptibles en 2010 pour Les baisers de Mademoiselle Zazie, ainsi que le prix Unicef de littérature jeunesse pour Vive la France ! (ressources pédagogiques ici), illustré par Delphine Durand.

Dans votre roman Vive la France !, le personnage de Khadija dit à Lucien : «Tu aboies comme un chien qui a peur (…) Viens jouer avec nous.» Comment avez-vous construit l’histoire et les personnages ?
Le premier roman que j’ai écrit, Le Soleil dans la poche, avait déjà le racisme au cœur de son histoire. Il raconte l’histoire de Mehdi, traumatisé par la perte de son petit frère abattu d’une balle dans la cité, décidant de retourner en Algérie. 

J’ai rédigé ce texte sans doute parce que j’ai été autrefois un enfant «différent» pointé par le plus grand nombre, au regard de mon identité genrée, un no man’s land entre masculin et féminin. Sans doute aussi avec le statut sociologique de ma famille, no man’s land entre ouvriers et cadres. Ou encore du silence assourdissant du passé de soldat français qu’a été mon père dans la guerre d’Algérie, et de celui de ma mère victime du patriarcat.

J’ai écrit Vive la France ! après avoir rencontré la femme, franco-algérienne, qui allait devenir la mère de mon fils. Le texte manuscrit de 1998 avait pour titre «Lucien tout seul». Il est devenu Vive la France ! après la victoire de Zizou et l’équipe de France… Et je l’ai écrit en dialogues pour qu’il puisse être facilement joué.

Quelle est votre définition du racisme ?
Je dirais que c’est la peur de l’autre. Egocentré tout puissant et ignorant, je me crois le vivant type, mêlé aux «miens», ceux à mon exacte image. Soudain, je m’aperçois que d’autres sont différents de moi. Serait-ce alors eux les vivants types, et moi et mes semblables qui en réalité n’existeraient pas ? Terrible angoisse pour l'egocentré tout puissant…

En quoi selon vous la diversité culturelle est-elle une force, dans une école, dans une classe,  et plus généralement dans la société ?
Si nous étions toutes et tous pareils, uniques, on serait les mêmes. On saurait donc tout ce que l’autre sait, dans son cœur, dans sa pensée, dans son ventre. On n’aurait donc rien à se dire. Rien à échanger. On ne serait pas face à d’autres vivants, on serait face à des miroirs. On s’ennuierait terriblement. Et on mourrait.

Qu’est-ce qu’il vous semble important d’aborder avec les élèves en classe pour lutter contre le racisme ?
Qui qu’on soit, la première personne dont il faut se méfier en ce qui concerne le racisme, c’est soi-même. C’est normal d’avoir peur. La différence entre les individus, c’est ce qu’ils font ensuite de leur peur primaire : de la haine ou de la curiosité, ou de l’amitié et de l’amour ?
 
[Interview publiée dans le livret pédagogique accompagnant le roman de Boualem Aznag et Stéphane Grulet, La bande affiche ses couleurs, collection Quartier libre chez Retz]